Gestion des forêts au Brésil, la parole aux acteurs : Gilles MOYNOT, ONF International
Au vu de l’actualité récente, Le Commerce du Bois a souhaité consacrer un dossier sur le Brésil dans sa revue d'Automne en mettant en lumière les initiatives privées et publiques de gestion durable des forêts.Nous avons donné la parole à des acteurs ayant une parfaite connaissance du terrain qui, sans chercher à nier la réalité de la déforestation dans le pays, présentent des actions concrètes qui permettent d’aboutir à une production responsable de bois, garante de la préservation de l’environnement et d’un développement économique des populations.
*Les propos recueillis n’engagent que l’interviewé et pas la rédaction*
Pouvez-vous nous parler des missions de l’ONFI et de ses projets ?
L’ONFI est une société qui appartient à 100 % à l’ONF et donc à l’État, nous sommes une entreprise publique. Nous sommes entre soixante et soixante-dix personnes dans le monde.
Au siège, nous faisons de l’appui aux filiales mais nous avons également une activité de bureau d’études. Ce qui fait la particularité de l’ONFI c’est qu’au-delà de répondre à des appels d’offre, nous sommes porteurs et gestionnaires de projets sur le long terme : en Amérique latine, nous faisons de la gestion de projets sur des sites où nous sommes présents et intervenons depuis vingt ans, le cas par exemple du département de Huila en Colombie. Nous développons aussi des projets pour les populations parce qu’il y a un réel intérêt, un engagement de leur part, parce qu’elles nous reconnaissent.
En France, nous appuyons les filiales ayant une implantation locale et nous investissons beaucoup dans la recherche et le développement de projets innovants. Nous travaillons ainsi sur les services écosystémiques et des systèmes d’alertes à la déforestation. Enfin, nous avons aussi l’enjeu de valorisation de l’expertise française à l’étranger et on nous demande parfois d’accueillir des délégations étrangères.
Les projets sur lesquels l’ONFI travaille sont assez différents d’un pays à l’autre. Aujourd’hui pour chaque projet, nous dédions une équipe. Nous sommes par exemple en Côte d’Ivoire pour le projet d’inventaire faunique et forestier national, au Brésil, avec la gestion d’une « fazenda », une ferme en front pionnier amazonien dont nous sommes gestionnaires depuis vingt ans et en Colombie, la plus ancienne filiale qui existe aussi depuis vingt ans. En Colombie, les projets sont très orientés sur le développement rural et la biodiversité, la gestion des fronts de déforestation, des questions d’aménagement du territoire pour des populations fragiles, la gestion d’aires protégées ou bien des projets de reforestation.
Quelle est votre mission en tant que Directeur technique à l’ONFI ?
L’ONFI étant une petite entreprise mais ayant tout de même des filiales en Amérique du Sud et en Afrique, les relations entre les filiales et le siège sont une partie importante de mon travail. Mon rôle est aussi d’appuyer le Directeur général pour définir l’orientation du groupe, d’assurer le management quotidien des équipes basées à Paris, le suivi technique des études pour s’assurer que l’étude est d’un niveau technique satisfaisant et correspond aux attentes du client, et la supervision technique des projets réalisés par l’ONFI. Enfin, je m’attache à entretenir les relations partenariales avec les bailleurs, les décideurs ou les partenaires techniques.
Quel est l'historique de la présence de l'ONFI au Brésil ? Vous gérez une ferme en Amazonie, une "Fazenda", pouvez-vous nous en parler ?
Nous sommes en effet présents au Brésil, en Amazonie, à travers la fazenda Sao Nicolau, ferme typique de ce territoire. Aujourd’hui elle est gérée par une équipe d’une quinzaine de personnes dont deux ingénieurs et du personnel technique. Au départ, ce projet a été porté et financé il y a vingt ans par l’ONF et Peugeot afin de créer un puits de carbone : faire de la plantation d’espèces natives et de la compensation carbone. Pour Peugeot, le but était surtout de promouvoir un projet de reforestation en Amazonie. Cette fazenda est d’une superficie de dix mille hectares et est située dans le nord-ouest du Mato Grosso à la limite des états de l’Amazonas et du Pará. On est vraiment dans le sud du massif amazonien. Au Mato Grosso il y a principalement de l’exploitation agricole, alors que dans l’État de l’Amazonas, la forêt est dédiée à l’exploitation forestière. Lorsque la fazenda a été acquise par notre filiale, il y avait beaucoup de forêts autour ; aujourd’hui, après vingt ans, on se retrouve au milieu d’une zone totalement déforestée pour l’élevage extensif. Nous sommes heureusement toujours connectés au massif amazonien par le nord. Au départ, environ huit mille hectares de cette ferme étaient encore couverts de forêt naturelle avec une biodiversité extrêmement riche. Nous avons planté ou restauré, en vingt ans, les deux mille hectares restants qui avaient été déforestés et transformés en pâturages : deux millions cinq cent mille arbres ont été plantés, avec cinquante essences différentes, principalement des essences indigènes mais également du teck.
Quels sont les projets et objectifs à venir de cette ferme ?
Au vu de la situation actuelle (dans le centre du Mato Grosso, l’avancée du soja est la principale cause de la déforestation, dans le nord c’est l’élevage bovin extensif), sachant que nous avons un site appartenant à l’Amazonie, nous essayons de passer du projet puits de carbone à un projet plus innovant pour en faire une vitrine de ce que peut être une approche multifonctionnelle de la forêt et des territoires amazoniens : ne pas se limiter à faire un puits de carbone mais voir aussi de quelle manière on peut valoriser durablement la ressource forestière. Nous pourrions par exemple vendre une partie du teck, développer l’écotourisme, améliorer toute la partie agroforesterie. Nous avons mis en place un peu de sylvopastoralisme mais il y a surement une possibilité d’améliorer ce travail en allant de la naissance des veaux jusqu’à leur fin de vie. Les noix du Brésil sont aussi un sujet important pour nous : les noyers du Brésil sont protégés et n’ont pas le droit d’être coupés. La particularité de cette espèce c’est qu’elle ne produit plus de noix lorsqu’elle est isolée de la forêt et ne se trouve plus mélangée dans la canopée. Or dans la zone dans laquelle nous nous situons, le seul endroit riche en noyers du Brésil qui produisent encore des noix est la Fazenda. Ainsi, les éleveurs qui habitent autour de la fazenda avec des revenus assez faibles ont monté une association et viennent collecter les noix du Brésil. Cela leur procure un supplément de revenu loin d’être négligeable. Entre quinze et vingt tonnes sont collectés chaque année et L’ONFI récupère entre 5 et 10 % de ce qui est collecté. Ce système assez vertueux nous permet d’assurer la sécurité du site. Mais d’autres choses peuvent être valorisées en termes d’agroforesterie, comme le café, ou encore des colorants naturels tels que le Roucou ou l’huile de Copaiba produite par des essences locales.
Mais nous souhaitons améliorer ce système : à l’avenir nous pourrions acquérir un pressoir pour pouvoir gérer la filière huile de noix de A à Z, associer les associations locales pour leur assurer un revenu pérenne et stable. Nous essayons de traiter toutes les activités possibles qu’on peut imaginer sur une forêt, la vente de bois, y compris d’espèces exotiques plantées, la valorisation du bois d’œuvre dans un esprit d’aménagement durable (un plan d’aménagement a été validé), la partie agroforesterie comme alternative productive durable: voir la forêt comme un écosystème qui peut être utile, rentable sur le long terme, faire de l’éducation à l’environnement, avec les écoles mais aussi avec les étudiants, accueillir les projets de recherche. De nombreux chercheurs de tout le continent américain viennent tous les ans travailler sur le site, beaucoup de publications ont été faites, près d’une quarantaine de nouvelles espèces pour la science ont été décrites sur la fazenda. Le but est de mieux coordonner ces projets de recherche, pour que l’information soit capitalisée, qu’elle puisse être valorisée à l’extérieur et pour pouvoir mieux anticiper. Nous souhaitons vraiment être un site pilote, modèle de ce que peut être une approche multifonctionnelle de la forêt.
Sur le site nous avons également une pépinière vouée à la vente de plants pour des projets de reforestation dans le Mato Grosso. Nous produisons vingt-cinq mille plants par an, y compris des essences à forte valeur ajoutée comme de l’Ipé (Handroanthus impetiginosus) et du noyer du Brésil (Bertholletia excelsa), ce qui nous permet de faire de l’enrichissement de la forêt en ciblant certaines essences.
Sur le sujet de l’écotourisme, un projet de thèse a été développé sur le singe hurleur pour voir quelles étaient leurs sources de nourriture, à quelles périodes et sur quels arbres. Derrière ce projet ce qui est intéressant c’est que cela permet de faciliter l’observation des animaux en réduisant le dérangement, en sachant à quels endroits et à quelles périodes de l’année ils vont aller s’alimenter. Une partie de la forêt est en réserve naturelle intégrale, sans aucune activité humaine, pour préserver la biodiversité. Une grosse partie de la faune victime de la déforestation vient se réfugier dans la fazenda, ils peuvent remonter par le nord dans la forêt amazonienne. Le site est assez réputé pour l’observation des aigles Harpie, un immense oiseau de proie dit « mangeur de singes »,… il y a même des jaguars mais ils restent difficiles à observer.
Le but aussi sur le site est de travailler avec d’autres partenaires comme le CIRAD ou l’ICV localement. Le site devrait faire partie de sites pilotes d’un projet de l’AFD « Territoires amazoniens » annoncé cet été par le Ministère des affaires étrangères, dont un des objectifs est de développer la certification des territoires afin que certains produits puissent être un jour labellisés « zéro déforestation ».
En termes de déforestation, quelle est la situation actuelle au Brésil ?
La déforestation au Brésil, ce n’est pas nouveau. Les taux observés cet été ne sont pas les taux historiques les plus élevés, en revanche il y a une vraie recrudescence de la déforestation par rapport aux dernières années. Les taux les plus élevés datent de 2004 avec quasiment 27 000 km² de déforestation et en 2018 nous étions à 8 000 km² de déforestation. Il y a eu une vraie politique pour essayer de lutter contre la déforestation qui a porté ses fruits au début des années 2010 avec des années où la déforestation est descendue à 5000 km² par an. Mais nous constatons que depuis un an et particulièrement cette année, une hausse très importante des alertes à la déforestation et des nombreux incendies, les chiffres sont alarmants avec une explosion des alertes déforestation INPE/DETER qui ont été multipliées par trois en août par rapport à l’an dernier.
Autour de la fazenda il y a des feux aussi, allumés par des gens présents depuis longtemps que nous connaissons et qui savent que c’est illégal, ce sont des feux relativement maîtrisés. Mais il y aussi des zones dans lesquelles des feux incontrôlés sont allumés et qui s’inscrivent dans un processus de plusieurs années visant à supprimer la forêt pour pouvoir à terme transformer ces zones en terres agricoles.
Au Brésil, les gens considèrent que tant que les terres sont couvertes de forêts, elles n’ont pas de valeur. Les premières années, après avoir récupéré les quelques bois qui ont une forte valeur, les personnes responsables de la déforestation auront tendance à mettre le feu pendant un, deux, trois ans, jusqu’à ce que la terre soit « nettoyée ». Plus la terre est nettoyée, plus elle est prête à être mise en culture et plus elle prend de la valeur. Un foncier couvert de forêt n’a quasiment pas de valeur. Une terre déforestée va commencer à avoir de la valeur et elle en prendra encore plus lorsqu’elle commencera à être plantée. Derrière ce processus, il y a une volonté d’accaparement des terres.
Y-a-il tout de même une prise de conscience de cette dégradation de l’environnement au Brésil ?
Même si la situation est très inquiétante, il est important ne de pas mettre tout le monde dans le même sac. Il y a quelques rares acteurs de l’agrobusiness qui sont inquiets de la déforestation illégale. Ils craignent que le soja brésilien ne représente pour les consommateurs qu’un produit de la déforestation comme cela peut l’être pour l’huile de palme. Ils ont aujourd’hui un comportement relativement sain. Ils restent rares mais ils existent et ont pris conscience qu’on ne peut pas tout détruire.
Aujourd’hui il y a un système corporatiste, bien organisé avec des sommes colossales en jeu et des petites gens qui mettent le feu sur plusieurs années mais qui ne sont finalement que des exécutants. C’est un processus qui est long et dont on ne sait pas bien qui est responsable, c’est pour cela que c’est compliqué.
Les scientifiques ont aussi peur de l’impact climatique à l’échelle régionale. En laissant s’installer et s’intensifier la déforestation en Amazonie, nous pourrions provoquer à terme un changement des flux globaux à l’échelle de l’Amérique latine notamment le cycle l’eau et la pluviométrie : l’emballement d’une machine que nous ne serions plus capables d’arrêter. L’Amazonie couvre neuf pays et la zone de forêt est tellement grande que cela aura un impact sur le climat régional.
Pouvez-vous nous parler de la différence entre la politique des gouverneurs et la politique nationale ?
En effet, il faut bien faire cette différence. Certains gouverneurs d’État veulent respecter leurs engagements en termes de lutte contre la déforestation. Ils sont réellement convaincus de leurs responsabilités en termes de gestion de l’environnement.
Mais les gouverneurs manquent de pouvoir sur le terrain car la police de l’environnement est gérée en partie par eux et en partie par l’État fédéral, or ils n’ont ni l’appui de l’armée ni les moyens suffisants pour protéger les forêts.
Il y a déjà eu des cas de tolérances zéro, où l’on vient saisir les outils de production, les tracteurs, etc. mais il faut des moyens pour le faire. Le Mato Grosso a été montré du doigt car il a été longtemps l’État le plus déforesté bien que la situation s’améliore un peu.
Tout cela veut dire qu’on peut travailler au Brésil. Il faut choisir les acteurs et à quel niveau on veut intervenir. Au niveau local par exemple, beaucoup de choses peuvent être faites.
Vous utilisez un système d'observation satellite, en Amazonie, quelles données vous permet-il d'étudier ?
Nous avons un système d’observation satellite très efficace qui a été mis au point en Guyane avec l’ONF. Il s’agit d’utiliser les images Sentinel qui sont des images Radar dont la particularité est de pouvoir s’affranchir de la couverture nuageuse, ce qui est très important en climat tropical humide. Nous sommes en train de tester cet outil sur l’Amazonie colombienne dans le Guaviare et nous prévoyons de le développer sur notre site du Mato Grosso.
Que pensez-vous des projets de replantation au Brésil ?
En termes de surface, le Brésil s’est engagé à reforester 12 millions d’hectares mais, comparé à ce qui part, cela n’a rien à voir. Et il est important de prendre conscience qu’un hectare déforesté et un hectare replanté n’ont pas du tout la même valeur du point des biens et services forestiers : la biodiversité, l’eau, le carbone,… Il faut aussi faire la différence entre une plantation et une restauration forestière où l’on tente de recréer un milieu qui a disparu, un processus qui prend des dizaines voire des centaines d’années. En termes de carbone, on sait qu’une forêt naturelle stocke en moyenne quarante fois plus de carbone qu’une forêt plantée. Quand on est sur du mono spécifique il est clair que la capacité d’adaptation de la forêt au changement climatique est bien moindre, on le voit aujourd’hui en France avec les attaques de scolytes sur des forêts d’épicéa par exemple qui sont incapables de s’adapter à une modification du climat et qui deviennent sensibles à ce type de ravageurs. La priorité est de limiter la déforestation ou de trouver des systèmes d’exploitation de la forêt qui permettent une cohabitation entre les activités humaines et la préservation de la biodiversité.
Comment pouvons-nous agir en France en tant que professionnel du commerce du bois pour limiter la déforestation ? Et en tant que consommateur ?
Il y a une responsabilité du consommateur qui doit savoir ce qu’il achète : il devrait acheter des produits tracés et/ou certifiés. Localement il y a un problème de gouvernance pour que les lois soient appliquées et que les systèmes soient plus vertueux. Mais je pense qu’il y a différents niveaux d’interventions : au niveau international dans les grandes conventions, notamment le sommet des Nations-Unies pour que les dirigeants s’engagent, il y a un niveau États et gouvernement fédéral pour que les politiques soient claires, mises en œuvre et respectées avec une intervention sur le territoire quand la loi est enfreinte. Il faut aussi développer des projets locaux qui montrent aux gens quelle est la voie : s’il n’y a que de la répression cela n’a aucun intérêt, il faut développer un système qui permette aux populations d’avoir un mode de vie durable. Enfin, il y a nos actions avec la déforestation importée : dans quelle mesure les français sont-ils capables de mieux consommer ? En consommant local et lorsqu’ils ne peuvent pas, en consommant certifié.
* Qu'est-ce que l'ONFI?
Depuis sa création en 1997, ONF International valorise à travers le monde le savoir-faire français, en matière de gestion forestière. Filiale de l’Office National des Forêts français (ONF), la force d’ONFI réside dans sa double approche d’intervention :
• la gestion de grands projets de coopération internationale ;
• l’activité de conseil et d’expertise.
Quatre grandes missions
• Évaluer et gérer durablement les écosystèmes forestiers
• Développer et aménager les territoires
• Favoriser l’atténuation et l’adaptation au changement climatique
• Lutter contre la déforestation grâce à la télédétection
Une expertise pluridisciplinaire et hautement qualifiée
• Des interventions dans plus de 40 pays depuis sa création en 1997
• Une équipe multilingue issue de 7 nationalités
• Une implantation permanente dans 3 pays : Brésil, Colombie, Côte d’Ivoire
• Un chiffre d’affaires groupe de près de 6 millions d’euros